Caméra-stylo, programme n°29 |
De manière générale, le terme de comédie américaine désigne essentiellement un genre qui s’est épanoui à Hollywood avec l’avènement du cinéma parlant (dans les années 30), que l’on ne confondra pas avec le burlesque (en anglais: «slapstick») et encore moins avec la comédie musicale, même s’il emprunte à l’un comme l’autre plusieurs éléments — comme nous le verrons plus loin, le burlesque et ses gags muets hantent la plupart des comédies américaines.
La genèse d’un genre
Certains historiens attribuent à Charlie Chaplin le film inaugural du genre. Il s’agit de L’opinion publique (1923), deuxième long métrage muet de Chaplin, dans lequel celui-ci ne joue pas. Très éloigné du burlesque où le gag physique ou purement mécanique prime sur la profondeur psychologique (Keaton, Laurel et Hardy, le premier Chaplin), ce grand film méconnu travaille un comique «sérieux» tout en fines notations, au sein duquel l’étude de moeurs devient le motif principal — dont le mode allusif et narquois va frapper l’esprit d’un émigré de fraîche date qui deviendra sous peu le prince de la comédie dite sophistiquée… j’ai nommé le grand Ernst Lubistch, mais n’anticipons pas.
La comédie sophistiquée
A Hollywood, l’avènement du cinéma sonore entraîne la rapide décadence du burlesque, art du muet par excellence, et entraîne la suprématie de la comédie américaine — la parole sied aux études de moeurs — à tel point que le genre va se diviser en deux lignées, à savoir la comédie sophistiquée et la «screwball comedy», un terme anglais que l’on traduit par comédie loufoque. Première à arriver à maturité, la comédie sophistiquée, comme son nom l’indique, situe ses histoires (qui tiennent souvent du théâtre de boulevard) dans des cadres aristocratiques, distingués, souvent européens; tendant vers le drame, ses intrigues traitent leurs deux sujets principaux, la volonté de s’enrichir et le désir sexuel, de manière allusive, voire métaphorique. Les grands maîtres de la comédie sophistiquée ont pour noms Georges Cukor (Silvia Scarlett, 1935; Femmes, 1939; Indiscretions, 1940, etc.) et Ernst Lubitsch (Haute Pègre, 1932; Sérénade à trois, 1933; Ninotchka, 1939, etc.).
La comédie loufoque
Venons-en maintenant à la comédie loufoque: à la différence de sa consoeur, la comédie loufoque décrit des milieux populaires, plus authentiquement américains; misant souvent sur les constrates que présente une société de classe. Soutenue par un dialogue nettement plus dense et aussi moins allusif, elle se joue à un rythme beaucoup plus élevé qui rappelle le burlesque. Alors que la comédie sophistiquée se détourne en apparence du présent, s’évade du réel, la comédie loufoque, volontiers populiste, exalte de manière paradoxale tout à la fois le mythe très américain de l’individualisme et la solidarité collective, le refus du politique.
Inséparable de l’esprit lié au «New Deal» du président Roosevelt, la comédie loufoque, du moins à ses débuts, n’était donc pas sans présupposés idéologiques. Il suffit de revoir aujourd’hui les chefs-d’œuvres de Leo McCarey ou Frank Capra (New York-Miami, 1943; Vous ne l’emporterez pas avec vous, 1938, Monsieur Smith au Sénat, 1939, etc.) pour saisir la fonction occulte du genre — affirmer la confiance dans le système en régulant ses possibles transgressions sur le mode comique.
Comme de bien entendu, cette distinction ne vaut que sur le papier; en pratique, ces deux tendances se recoupent souvent dans un seul et même film. Leur point commun réside surtout dans la suprématie du parler sur l’agir: les personnages se parlent et les cinéastes sont contraints d’inventer un nouveau type de découpage plus démocratique, qui donne la parole — le champ/contrechamp où les personnages sont filmés alternativement.
Les années 50
Après quoi, la deuxième guerre mondiale sonne le glas de la comédie sophistiquée pure; les cinéastes américains s’engagent par devoir sur la voie plus populiste de la comédie loufoque. Dans les années 50-60, une époque prospère qui aiguise le sens critique, des auteurs comme Frank Tashlin et Blake Edwards (un peu plus tard) remettent en question le genre; produisant des satires subversives, ils montrent comment l’industrie hollywoodienne a fait de la comédie américaine un instrument de consommation, voire de contrôle — le rire a perdu sa fonction critique. De manière logique, ces cinéastes font alors un retour au burlesque pour contrer un verbe soupçonné de collaboration — dirigé par Tashlin, Jerry Lewis incarne à lui tout seul ce retour des vertus du cinéma muet.
Aujourd’hui
Hélas pour eux, Hollywood veille au grain: cette génération critique, qui a voulu attenter à ses films, est alors peu à peu victime d’un refoulement «institutionnel» qui, au jour d’aujourd’hui, dure encore. Pour survivre, la comédie américaine doit s’allier avec d’autres types (thriller, western, drame, etc.); elle ne peut plus être un genre «pur» — Brazil, de Terry Gilliam constitue un exemple réussi de ce métissage. L’autre voie permise consiste en une démarche que l’on peut qualifier de «maniériste» qui cite avec nostalgie les chefs-d’œuvres du patrimoine; le plus sincère, le plus touchant aussi, de ces cinéastes référentiels étant Mel Brooks… De quoi sera fait la comédie américaine de demain? A l’heure qu’il est nul ne peut le dire, c’est peut-être bon signe!