Sur un demi-siècle, Clint Eastwood retrace la vie de J. Edgar Hoover, fondateur redouté du FBI. Une personnalité énigmatique dont le réalisateur d’«Impitoyable» restitue toute la complexité.
J’ai un dossier sur vous…
A bientôt quatre-vingt-deux ans, Clint Eastwood persiste à considérer le cinéma comme une machine à remonter le temps, qu’il doue d’intelligence et d’une capacité à faire sens, sans jamais verser dans la réduction. Comme la plupart de ses films, son trente-deuxième long-métrage ranime tout un pan du passé étasunien. Cette fois, l’auteur d’«Un monde parfait» a jeté son dévolu sur J. Edgar Hoover qui a dirigé le FBI d’une main de fer pendant près cinquante ans, en «régnant» sur huit présidents, sur lesquels ce maniaque du détail s’ingéniait à monter des dossiers pour mieux les «contrôler».
Eastwood fait débuter son film dans les années 1970. J. Edgar Hoover (Leonardo DiCaprio) est en train de dicter ses mémoires à ses «nègres». Grâce à cet artifice narratif, le réalisateur peut aller et venir entre passé et présent avec une virtuosité discrète dont l’aisance rappelle qu’il est bel et bien le dernier héritier des grands cinéastes de l’âge classique du cinéma américain (Ford, Vidor, Huston, Walsh…). Dès 1919, alors que les attentats anarchistes se multiplient, le jeune Hoover s’évertue à transformer la cafétéria de son poste en officine de la police scientifique sous les regards railleurs de ses collègues, et à établir un fichier d’empreintes digitales. Résolvant l’affaire Lindbergh grâce à ses nouvelles méthodes, Hoover est autorisé à créer le FBI, dont l’importance dans le système policier américain ne va pas cesser de grandir.
Accompagnant cette ascension, qui lui inspire certes une certaine admiration, Eastwood ne ment toutefois jamais sur son protagoniste qui, aussi puissant soit-il, conserve toujours un côté étriqué, presque pitoyable. Bien que toutes méritées, les épithètes valsent: raciste, médiocre, paranoïaque, mythomane, incorruptible, civique, patriote. Mais elles sont loin d’épuiser le mystère du personnage! Avec subtilité, le cinéaste réussit pourtant à lui faire baisser la garde en intriquant dans sa «success story» un déni amoureux qui dit tout de son impuissance à laisser cours à ses émotions. Sous l’emprise d’un désir homosexuel qu’il ne veut ni ne peut reconnaître, il va transformer la relation «de travail» qui le lie à son adjoint Clyde Tolson en une bien triste «(love) affair»!
de Clint Eastwood
Etats-Unis, 2011, 2h15
Leonardo au zénith: Endossant un rôle de composition à sa démesure, Leonardo DiCaprio lui confère une présence étonnante, d’autant que ses traits d’enfant mal dégrossi conviennent parfaitement au personnage.
Un vieillissement virtuose: Le maquillage qui vieillit ou rajeunit les personnages selon les séquences atteint une perfection saisissante, les figeant dans leur soif de pouvoir, telles des momies.
Entre vérités et mensonges: Hoover était un mythomane. A la toute fin, Eastwood prend soin de nous le rappeler, jetant un doute des plus salubres sur tout ce à quoi l’on vient d’assister!
à voir à La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel