L’Empire des sens

A voir dimanche 24 juillet 2016 à 23h30 sur Arte |

empire-des-sens_WEB

Né en 1932 à Kyoto, décédé le 15 janvier 2013 à Fujisawa, Nagisa Ōshima a été l’un des activistes en chef de la contre-histoire cinématographique du Japon d’après-guerre (avec Imamura, Terayama et Yoshida). Depuis 1959, il a commis de véritables «films-forfaits», près de trente longs-métrages, presque tous saisis par le désir, la mort et le processus d’aliénation qui saisit tout individu vivant en société: «l’un de mes thèmes centraux est le monde où l’on ne peut vivre en restant soi-même, où la vie n’est possible que si l’on devient un autre.»

Une idée simple «innerve» tous les films d’Ōshima: le désir ne peut s’épanouir que lorsqu’il y a destruction de l’Etat, d’où cette formule magnifique: «faire un film revient à commettre un crime.» Le vrai cinéaste, étant celui qui exprime son désir, est donc forcément un «criminel»… Un «criminel» qui attente en tout état de cause à la sécurité de l’Etat: «aucun de mes personnages n’est sauvé, ni ne veut l’être.» Tout au long de sa carrière, même à ses débuts dans le cadre de la Shoshiku l’une des principales «majors» japonaises, Nagisa Ōshima n’a jamais transigé sur cet engagement «criminel», ce qui lui valut plusieurs procès retentissants!

Loin de s’en tenir au seul cinéma, Ōshima a investi d’autres champs d’agitation (la photo, le dessin, l’écriture), jusqu’à devenir en 1973 l’animateur vedette d’une émission de télévision très populaire, «Onna no gakko» («L’école des femmes») dont le principe est élémentaire: «Les femmes japonaises viennent avec leurs problèmes… et je leur réponds.» Cet éclectisme, qui traduit une très ferme volonté de ne pas se laisser «enfermer dans un tiroir», a son pendant dans la forme même de ses films… Nagisa Ōshima essaye tout, restitue en plans fixes (au banc-titre) le fameux manga de Sanpei Shirato, «Carnet des Ninja» («Ninja bugeicho», 1967), avant de tourner un porno de façon volontairement luxueuse, «L’Empire des sens» («Ai no corrida»).

Nous sommes en 1976, un an après l’Oscar décerné à «Dersou Ouzala» de Kurosawa, et voici que le monde découvre ce film-évènement qui entre dans le cercle très fermé des grands films érotiques de l’histoire du cinéma. Tourné en séquences de sexe non simulées, «L’Empire des sens» est un film unique par ses choix d’images, son rythme, son scénario surprenant jusqu’au bout et sa présentation au Festival de Cannes en avant-première pour la section Quinzaine des réalisateurs. La coproduction française permet une sortie et un succès mondial alors que le Japon l’aurait sans doute censuré au vu de son aspect évidemment pornographique.

Dans les beaux quartiers de Tokyo des années trente, une ancienne prostituée devenue domestique épie les ébats amoureux de ses maîtres et s’emploie à soulager quelques vieillards vicieux. Son patron, bien que marié, lui manifeste son attirance et l’entraîne dans une escalade érotique sans limites… En résulte une histoire d’amour tragique qui révèle autant la puissance des passions amoureuses que l’avilissement d’un pouvoir phallocrate et totalitaire. Un chef-d’œuvre!

Ai no corrida
de Nagisa Oshima
Japon / France, 1976, 1h45